L’architecte Yves Pagès est notre invité ! Co-fondateur de l’agence Explorations Architecture, il s’investit quotidiennement pour les territoires en concevant des projets aux programmes variés, à petite et grande échelle. Pour nous éclairer, nous l’avons questionné sur le sujet de la réhabilitation.
Selon vous, pour quelles raisons, la réhabilitation de bâtiments anciens est-elle essentielle aujourd’hui ?
Pour une raison simple, l’acte de construire nécessite de la matière et de l’énergie. Il consomme beaucoup de carbone avec des impacts conséquents sur la biodiversité. Tout ce qui est déjà là (construit, disponible, transformable) nécessite donc une « dépense » beaucoup plus mesurée vis-à-vis de notre environnement immédiat.
Qu’implique la réhabilitation de friches urbaines et de bâtiments ? En tant qu’architecte, quel est votre vision sur le sujet ?
De mon point de vue, travailler sur un bâtiment existant, c’est exactement comme travailler sur un site naturel. Il faut l’arpenter, l’éprouver, comprendre ses logiques, ses forces et ses faiblesses. C’est infiniment plus satisfaisant que de travailler sur le papier d’une fiche de lot anonyme dans une ZAC où le terrain est nu.
Par exemple, lorsque nous avons collaboré avec ID&AL groupe sur Saint-Vincent de Paul, nous nous sommes inscrits dans une démarche urbaine innovante portée par la ville de Paris. Il s’agissait de conserver tous les bâtiments du site, qu’ils soient banals ou remarquables, et de trouver une nouvelle manière de les habiter. Nous avons limité drastiquement les interventions lourdes (coûteuses en carbone) pour développer des logements atypiques qui répondent à la vie urbaine d’une capitale ultra dense. Dans cette configuration, le rôle de l’architecte devient encore plus passionnant car le « programme » n’est plus un a priori au projet. Il se construit dans une confrontation musclée entre le besoin et la matière même de l’existant.
En quoi les opérations de réhabilitation sont-elles bénéfiques aux territoires ? En termes de qualité de vie, renouvellement architectural et d’attractivité territoriale ?
On s’est rendu compte depuis maintenant quelques décennies du traumatisme émotionnel causé par la démolition de bâtiments ou de quartiers entiers, que ces démolitions aient eu ou non une bonne justification. Il est pour moi évident que le succès des territoires se construit sur la manière d’assumer leur histoire, leur identité urbaine et de faire corps avec leur population. « Conserver, réhabiliter, transformer » participe d’une approche pragmatique où la vox populi est de fait mieux entendue. Sur un plan strictement architectural, il va sans dire que les contraintes de l’existant ouvrent des brèches de plus en plus nombreuses vis-à-vis des standards et normes de toutes sortes qui brident notre métier. Du coup, on s’amuse beaucoup plus dans ces projets et cela se voit souvent dans le résultat.
Comment enclencher durablement le renouvellement urbain de nos villes ? De quelle manière les élus locaux peuvent-ils s’emparer de la question ?
Pour s’emparer d’une question, il faut déjà savoir qu’elle existe, ce qui n’est pas encore le cas partout. Il y a donc un travail pédagogique à poursuivre. Les démarches bottom up, l’intelligence collective, les assemblées citoyennes sont de plus en plus visibles et écoutées. Mais l’Etat et l’Europe ont un rôle majeur à jouer avec des mécanismes d’incitation et des aides encore plus appuyées pour les collectivités qui s’engagent sur un chemin plus frugal. On voit bien avec l’arrêt récent du Conseil d’État que la question climatique est de facto une nouvelle obligation régalienne. La période est donc passionnante.
* Crédit photo : Michel Denancé